jeudi 27 août 2009

Asha Niwas : Première visite à l’orphelinat

A mon arrivée en Inde, j’ai pris contact avec un orphelinat et notre première rencontre était fixée à aujourd’hui. Il s’agit de l’orphelinat Holy Family Asha Niwas, qui s’occupe au total de 60 petites filles, réparties dans deux centres. Ces petites filles, qui ont entre 4 et 18 ans, sont arrivées là pour diverses raisons : certaines ont fui une maison où on les maltraitait, d’autres ont été abandonnées par leurs parents et livrées au triste sort de la rue, d’autres encore sont tout simplement orphelines et ont été recueillies sur les trottoirs de Delhi.

A 13h30 pile poil, un peu stressée par cette première rencontre, je suis devant chez moi, le bras levé pour héler un rickshaw. Mais trouver un chauffeur qui accepte de m’emmener jusqu’à Najafgarh n’est pas une mince affaire… en parlementant avec eux, je découvre en effet que l’orphelinat est loin… très loin… en dehors de la ville en fait, qui est elle-même immense. Je commence déjà à penser au retour… puisque c’est si loin, est ce que je vais trouver quelqu’un pour me ramener ? Bon. Pas de panique. Je décide finalement de payer le prix fort et de « louer » un rickshaw pour l’après-midi : il va m’emmener, m’attendre sur place et me ramener ensuite à mon point de départ. Une heure plus tard, je suis toujours à l’arrière de ma machine brinquebalante et je vois la ville s’estomper sous mes yeux. Les échoppes qui abondent habituellement sur les trottoirs laissent place à de longues étendues de terre rougie, sur lesquelles sont construits des abris de fortune qui hébergent parfois toute une famille. Des odeurs surgissent de nulle part. Odeurs de légumes cuits aux épices, odeurs de la terre et odeurs d’urine se confondent et viennent, une nouvelle fois encore, titiller mon odorat. Décidément, mes narines qui ne sont jamais en paix dans ce pays trouveront probablement bien fade le retour en France… Ici, les vaches sont plus nombreuses que dans la ville. Et puis il y a les cochons aussi. Grosses boules roses un peu fripées qui remuent leurs museaux dans les tas d’ordures jonchant la route. Le trajet est long, mais c’est un vrai spectacle et je ne vois pas le temps passer. Et mon chauffeur est là pour me faire la conversation. Durant tout le trajet, ça se passe comme ça : silence pendant plusieurs minutes puis tout à coup, il me pose une question en hindi. Ça a l’air de lui tenir à cœur alors il insiste, il répète ses mots, il fait des gestes. Comme je ne comprends pas, je réponds au hasard Celine… French…28 years old … Paris… Yes, I love India … Mes phrases en anglais et mon accent sont aussi mystérieux pour lui que l’est son Hindi pour moi. Alors l’échange se termine par un HaHa (Oui, Oui) partagé. Nous hochons la tête simultanément et reprenons chacun notre activité (lui la conduite, moi la photographie mentale du paysage qui défile). Et puis, au bout de quelques minutes de silence, l’un de nous deux se décide à retenter l’expérience. Bref. Je ne vous la refais pas.
Au bout d’une heure, le Ciel se met à faire des siennes. Il pleut, il pleut Bergère… C’est vrai, nous sommes en période de mousson. Etant donné la sécheresse de cette année, on aurait tendance à l’oublier. Je pointe un doigt vers l’extérieur et lui dis « Pani ! Pani ! » (Eau ! Eau !). Il me jette un coup d’œil dans le rétro et m’adresse un grand sourire ponctué d’un joyeux « Ha ! Ha ! ». ça y est, on se comprend !
Bon, deux minutes plus tard je rigole un peu moins. La pluie n’a pas l’air de se calmer. Et ici, quand il pleut, il ne pleut pas des cacahuètes… La route devient vite une zone piégée : les crevasses s’emplissent d’eau en un clin d’œil et les piétons remontent leurs pantalons jusqu’aux genoux pour traverser. Je commence à avoir peur de ne pas pouvoir rentrer. Parfois, après une pluie de mousson, il faut plusieurs heures pour parcourir en rickshaw un trajet qui dure normalement 30 minutes… Alors pour un trajet comme celui-ci, je vous laisse imaginer !
Je suis partie depuis 1h30 maintenant et Najafgarh (le district dans lequel se trouve l’orphelinat) ne daigne toujours pas pointer le bout de son nez. La pluie continue à tomber mais de façon régulière. On dirait même qu’elle s’adoucit un peu. Bientôt, mon chauffeur se retourne et m’annonce Najafgarh… Ha ! Ha !
Ouf ! On y est. Je commençais à me demander si ce coin existait vraiment ou s’il n’était qu’une invention de mon imagination…
On quitte la route pour s’engouffrer sur un chemin de campagne. Cabossé, boueux, entouré de champs verdoyants. Personne ni rien à l’horizon. Je suis déjà au bout du monde mais là, j’ai l’impression d’y être plus encore. Et tout à coup, à quelques centaines de mètres de l’arrivée, on s’arrête brutalement. On a roulé dans une crevasse, on a de l’eau jusqu’au dessus des roues et le moteur a pris l’eau. Et ce qui est rassurant, c’est qu’il n’y a personne autour pour nous aider… à part peut être cette vache noire allongée dans son coin et qui nous lance un regard torve. Heureusement, sorti de nulle part, un jeune homme débarque à nos côtés.
Prenant son courage à trois mains, mon chauffeur sort de son rickshaw et avec l’aide de notre nouveau copain, pousse sa bête roulante (et moi dedans) jusque sur la rive (c'est-à-dire sur la bordure du champ). On attend quelques minutes -le temps que le moteur daigne ronronner à nouveau- puis on dit au revoir à notre copain et on reprend la route de l’orphelinat. Enfin, on découvre au bout du chemin une grande bâtisse sur laquelle une pancarte indique Asha Niwas. C’est là. Trouvé.
En entrant dans la cour, je m’aperçois que plein de petits visages sont collés aux vitres de la grande maison. Et là, tout à coup, ça me tombe dessus : je suis intimidée.
Je sors du rickshaw accueillie par la directrice de l’établissement, Sœur Lilly. Derrière elle, 36 petites filles (elles sont 36 dans cette résidence), qui m’entourent en quelques secondes et me serrent la main chacune leur tour. On me fait entrer, on me fait asseoir, on me sert un thé. C’est un peu vertigineux en fait, cette arrivée. En partant de chez moi, je m’attendais à débarquer dans un lieu situé dans la ville et habitué aux visites. En fait, la venue de quelqu’un ici semble être un petit événement et pendant une demi-heure, les enfants m’accueillent avec un spectacle. D’abord un chant de bienvenue, puis des danses par petits groupes. Pendant que les unes dansent, j’entends les chuchotements des autres, leurs regards braqués sur moi, qui me détaillent. Après le spectacle, Sœur Lilly me fait visiter les lieux. Une salle de classe, une salle dans laquelle elles apprennent la couture, une grande cuisine et une salle « informatique » dans laquelle les filles apprennent à utiliser les ordinateurs. A l’étage, trois grandes chambres contenant chacune plusieurs lits superposés. Dans la dernière chambre, j’aperçois un bébé endormi sur un matelas. La Sœur m’explique que c’est le bébé d’une des adolescentes, qui a fui le père, violent.
Et enfin, une salle dans laquelle les enfants n’entrent que le dimanche : la salle TV.
Au moment où nous redescendons, une voiture blanche débarque dans l’allée. Deux visites le même jour ! Les fillettes courent voir ce qui se passe. Deux femmes indiennes sortent de la voiture. Elles expliquent venir de la part d’une association qu’elles ont elles-mêmes créée, et qui s’occupe des femmes battues. Sœur Lilly les invite à boire un thé avec nous. Nous voici maintenant dans une petite cuisine, à 7 autour d’une table en bois. 4 Sœurs, les 2 femmes de l’association et moi. Etrange goûter. Les deux femmes expliquent leur problème : elles viennent de recueillir une jeune-femme, déjà mère de deux enfants en bas âge et enceinte du troisième, qui a perdu un œil suite aux coups portés par son mari et qui est venue chercher refuge chez elles après qu’il se soit également attaqué aux enfants… N’ayant pas de place pour héberger les deux enfants et le troisième à venir, mais ne voulant pas pour autant séparer la jeune mère de ses enfants, elles sont venues demander à Sœur Lilly d’accueillir cette femme et sa famille, sachant qu’elle pourrait effectuer quelques menus travaux dans l’orphelinat (aider en cuisine, aider aux devoirs…). Ma compréhension de l’indien-anglais étant encore parfois relativement approximative, je ne comprends pas tout mais je comprends tout de même que Sœur Lilly accepte.
16h30. Dehors, mon chauffeur s’impatiente. Il est temps pour moi de repartir. Un peu chamboulée par cette première rencontre, je retourne vers mon rutilant rickshaw. Les fillettes sont toutes dehors pour me dire au revoir. Avant de me laisser grimper sur mon siège arrière, elles m’arrachent la promesse d’une après midi passée avec elles la semaine prochaine. De toutes façons, c’était prévu. Si jamais j’avais eu en tête de ne leur rendre visite qu’une seule fois (mais ce n’était évidemment pas le but J), ça serait désormais impossible de m’y tenir. Les visites ont l’air plutôt rares, et ça serait difficile de ne pas revenir les voir après avoir été accueillie de la sorte…
Je vous passe les détails du retour à la maison, qui ressemble grosso modo à l’aller, avec en supplément un joyeux arrêt d’une dizaine de minutes dans une station service fleurant bon d’autres essences. Mais ça n’est pas très intéressant, surtout après un message aussi long que celui-ci ! Si vous avez tout lu jusqu’ici, merci de votre courage J

www.holyfamilyashaniwas.com

7 commentaires:

  1. Que d'aventures ma puce !! Tu es une warrior, pas de doute. Plein de gros bisous

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  2. bravo, c'est un super post, j'étais très ému en lisant le passage de l'accueil à l'orphelinat. Ca doit être triste de voir autant d'injustice...
    Jlo

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  3. merci ma puce de nous faire découvrir ce monde là; un monde tellement différent, ou solidarité veut vraiment dire quelque chose ;j'ai eu les larmes aux yeus en lisant car je sais a quel point ca te tient a coeur ; il y a tellement longtemps que tu attendais de vivre ca . je suis fière de toi , d'etre ta maman , je t'aime et prends bien soin de toi

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  4. Qu'est ce que tu écris bien, Céline.
    Je m'y croirais presque. J'en ai presque mal aux fesses après cette balade en rickshaw, et les yeux humides après ce bref passage dans l'orphelinat.
    Gros "Pim's".

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  5. apres les asha inkas l asha niwas...
    Un bon rythme un beau recit je trouve que ca te vas mieux que les recettes de babette ciao take care

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  6. Merci merci! J'ai oublié mon appareil photo hier, c'est dommage...

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  7. Pas de doute, super bien rédigé!! et puis c'est vrai ce que dit ta maman, moi aussi je me souviens que l'orphelinat en Inde te tenait déjà à coeur avant même que l'esquisse d'un voyage possible dans cette contrée se profile...
    Math

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