Ce week-end, nous sommes partis à
Amritsar, dans la région du
Pendjab.
Nous étions 19, à bord de deux minibus loués auprès de l’agence de voyage dans laquelle travaille Mathilde… Une vraie colonie de vacances, en route pour la capitale religieuse de la communauté Sikh.
Avant d’entamer le récit du week-end, je voudrais prendre le temps de rappeler ici les principaux fondements / éléments de la religion Sikh.
Qui ?Sachez tout d’abord que la communauté Sikh représente environ 20 millions de personne en Inde, soit 2% de la population. Ils sont essentiellement installés dans la région du Pendjab, qui ouvre la route vers la frontière pakistanaise.
Quoi ?Le sikhisme est né par la personne de Gurû Nanak (15 et 16ème siècle), élevé dans la tradition hindoue. Très jeune, il s’intéresse à l’enseignement de Kabir, saint révéré à la fois par les hindous et par les musulmans. Pour Nanak, l’hindouisme et la religion musulmane ne sont pas antagonistes : il s’agit bien au contraire d’en fusionner les préceptes pour en révéler la richesse. A ceux qui suivent son enseignement, il dit qu’ils ne sont ni des hindous ni des musulmans mais des « Sikh » (disciples).
Attention toutefois à ne pas être trop schématique: le sikhisme va bien au-delà d’un simple mélange entre hindouisme et religion musulmane.
Comment ?La religion Sikh est strictement monothéiste. Pour ne pas utiliser un nom trop restrictif, le Créateur est appelé « Le Nom Vrai ». Sachez également que chez les Sikhs, le Créateur n’est jamais représenté sous forme humaine : contrairement à l’hindouisme, le sikhisme ne professe pas l’adoration des idoles. De même, il n’y a pas de prophète.
L’enseignement Sikh s’appuie sur le Karma et la Réincarnation : pour éviter de prolonger le cycle des réincarnations, il faut chercher à s’unir avec le Créateur et se libérer de ses vices (alcool, tabac, jeux de hasard) et de son égoïsme. La libération s’obtient à force d’intégrité et d’honnêteté.
Dans la rue, il est assez facile de reconnaître un Sikh :
-
le turban : les Sikhs ne coupent jamais leurs cheveux, qui sont un don de Dieu. Ils les cachent sous un long turban enroulé autour de leur tête
-
le Kirpan (petit poignard) : au moment du baptême, les Sikh reçoivent un petit poignard dont la lame est à double tranchant, et dont ils ne se sépareront jamais durant leur vie : il est le symbole du combat qu’ils sont prêts à mener pour défendre leur foi.
Un week-end à Amritsar…Vendredi soir, Delhi. Nous voilà donc installés dans deux minibus, des Tempo plus exactement. Pas de place assise pour tout le monde, deux personnes sont allongées dans le coffre (relativement confortable, par ailleurs) et on tourne à tour de rôle. Seulement 490 Kms séparent Delhi d’Amritsar : il nous faudra pourtant 15h pour y parvenir ! La nuit est agitée : le bus se trémousse sur la route et la pluie réussit parfois à nous arroser malgré les fenêtres. Et en cadeau bonus, le système de climatisation installé au dessus de ma tête fuit : à chaque fois que le chauffeur freine trop brutalement (et ce n’est pas rare …), je reçois un petit jet d’eau glacé sur le crâne… très agréable, comme vous pouvez l’imaginer !
Mathilde, attendant que le Tempo daigne redémarrer après une courte halte...Samedi en milieu de journée, notre bus se gare enfin dans le parking souterrain de la ville d’Amritsar. Youpi, on est arrivés. Et nous avons de la chance : il fait beau.Le principal intérêt d’Amritsar est le Harmandir Sahib (temple d’or) pour lequel nous avons fait tant de route. On y entre pieds nus, et en se couvrant la tête avec un foulard ou un turban prêté à l’entrée.

C’est dans ce haut lieu spirituel que bat le cœur des Sikhs. Construit en 1601 sous les ordres de Gurû Ajan (successeur de Gurû Nanak), le Temple d’Or n’a rien perdu de sa superbe : il trône au milieu d’un bassin portant le nom d’Amrit Sarovar (Bassin du Nectar), dans lequel de nombreux Sikhs s’adonnent aux ablutions sacrées. Les feuilles d’or qui le recouvrent se reflètent dans l’eau claire du bassin, lui-même entouré de lieux de cultes en marbre blanc. L’endroit est à couper le souffle, et on sent à chaque pas la ferveur qui y règne. Nous entamons un tour du bassin, admirant à chaque angle la vue nouvelle qui nous est offerte du temple.



Vue de nuit...
Ici et là, des hommes plongent dans l’eau et joignent leurs mains en témoignage de leur foi.

Après quelques mètres, nous tombons en arrêt devant un arbre gigantesque. D’après ce que nous avons compris, il s’agit de l’arbre de la fécondité : obéissant au rituel, nous le touchons et faisons un don.
Ce premier tour est rapide et nous n’avons pas le temps d’entrer dans le temple : il nous faut rejoindre le bus afin de nous diriger vers la frontière pakistanaise où, tous les soirs au coucher du soleil, se déroule une cérémonie militaire que nous ne voulons pas louper.
Nous voilà donc à nouveau sur la route poussiéreuse, et bientôt le bus nous arrête au bord des champs, à quelques mètres de la frontière. Pendant près d’une heure, nous patientons devant une grille en plein soleil, au milieu d’une foule (oppressante) d’indiens et de touristes (mais ils sont trèès rares) venus assister au spectacle. Certains soirs, il y a jusqu’à 2500 personnes. Je ne sais pas combien nous sommes aujourd’hui mais c’est impressionnant. Avec Patricio, argentin également échoué à Delhi, nous sortons de la file et attendons sur le côté. Il fait trop chaud et on n’aime pas beaucoup les mouvements de foule qui commencent à prendre forme…
Nous sommes là, au milieu de la route, avec sur notre gauche un premier portail derrière lequel s’amasse une foule gigantesque, et sur notre droite un second portail devant lequel personne n’attend. Tout à coup, ce deuxième portail s’ouvre et les plus rapides sortent de la première file pour s’y ruer. Happés par la foule, nous suivons le mouvement et nous approchons du portail, en essayant de ne pas se perdre…. Mais deux militaires bien armés (et bien enragés, aussi) font violemment irruption et commencent à refermer le portail en feignant de porter des coups à la foule en délire… Ahhhh je traine Patricio par le bras et nous nous traçons un chemin entre les corps agglutinés pour nous éloigner de là… ça ne m’inspire pas tellement.Bref, après une heure de ce traitement, les portails s’ouvrent enfin pour nous laisser passer et nous parvenons jusqu’à des gradins avec vue sur la frontière.
Frontière Inde / Pakistan....Nous avons perdu tous les autres et ne sommes plus que tous les deux : et là encore, nous nous retrouvons pris au milieu marée humaine… Une musique tout droit sortie du dernier bollywood à succès s’échappe des hauts-parleurs grésillants et, sur la route qui marque la frontière, une bande de jeunes étudiants en uniformes commencent à danser sur un rythme saccadé. Il n’en faut pas plus pour éveiller les instincts patriotiques de la foule. Autour de nous, ça crie, ça siffle, ça se bouscule, ça tape dans ses mains. C’est à la fois grandiose et angoissant.
Un homme à la cinquantaine bien avancée, tout droit dans son uniforme de l’armé, se plante sur la route et hurle dans son micro des mots que nous ne comprenons pas. Comme un seul homme, la foule gronde une réponse qui ne nous apparait pas plus claire. Les mains sur les hanches, l’homme réitère son propos : même réponse de la part de ceux qui nous entourent. Echange patriotique probablement, mots scandés à l’unisson dans une langue inconnue, on sent battre le cœur d’Inde.
Malgré les cris, les bousculades et les corps en sueur, nous sommes bientôt nous aussi rattrapés par la folie du moment et joignons nos voix à la leur…
Les militaires nous offrent ensuite un défilé bien rôdé, avec une succession de levers de jambes et de marches saccadées.
19h. Le spectacle est fini, le soleil s’est couché et tout le monde prend la route du retour. Notre bus nous attend bien sagement sur son terre plein, au milieu des pots d’échappement et des odeurs de fruits brûlés par le soleil. Retour à Amritsar.
La soirée s’annonce plus paisible : allongés sur les bords du bassin, nous admirons le temple d’or qui se découpe dans la nuit.

L’enceinte du temple est une vraie petite ville, qui offre lits et restauration contre rétribution volontaire. Nous nous dirigeons vers les grandes « salles à manger » du temple. Là encore, la foule est au rendez-vous. Tout fonctionne avec des volontaires, nombreux. Au passage, on nous tend une gamelle et un pot en fer, une cuillère. Nous suivons le mouvement et grimpons les escaliers qui s’élancent devant nous. Là encore, nous nous perdons et je me retrouve cette fois seule avec Logaine (péruvienne). Nous attendons dans un long couloir, assises sur le sol marbré, les pieds nus et offertes aux regards curieux des fidèles. Sur je ne sais quel signal, tout le monde se lève et se dirige vers la porte d’entrée de la salle à manger. Je ne marche pas : je suis poussée, portée par la foule. Emportée par une vague humaine, et Logaine entrainée quelques mètres plus loin. Ça pousse, ça pousse, et je sens que tous nos corps glissent vers l’autre côté de la porte. Au passage, une femme tombe et on entend ses couverts qui se répandent sur le sol. De l’autre côté, je retrouve Logaine et on nous presse pour s’asseoir en tailleurs, en rangs et sur toute la longueur. Très vite, l’immense salle est emplie de rangées de gens assis sur le sol les uns à côté des autres. Nous voilà nous aussi sur le sol, faisant face à une rangée de femmes et leurs bébés. Chacun tend sa gamelle tandis que des volontaires passent avec des seaux remplis de Dal (plat souvent à base de lentilles) qu’ils versent à la louche en nous tendant le pain que l’on reçoit avec les deux mains jointes. On mange en quelques minutes, le calme règne presque. Et puis il faut se lever pour laisser la place aux nouveaux arrivants, et se diriger vers les cuisines où l’on abandonne nos couverts à des volontaires chargés de la vaisselle. Le système est impressionnant. Ils doivent être deux cents, peut être plus je ne saurais pas à le dire, à se passer les gamelles, les pots et les cuillères. Ça tourne, ça claque et ça saute dans l’air, les bassines sont remplies de mousse, on lave, on essuie et on place le tout dans d’immenses bacs en plastique où la vaisselle sèche avant d’être à nouveau utilisée.

En sortant des cuisines, nous retrouvons Mathilde, Patricio et Monica et faisons une dernière halte sur les bords du bassin, avant de pénétrer dans le temple d’or. Que dire d’autre à part Wouah. C’est stupéfiant. Magnifique.
Il est tard, des volontaires enturbannés s’affairent dans le temple pour le nettoyer. Nous atterrissons dans une petite pièce toute en or, avec en son cœur des hommes habillés de blanc, qui grimpent sur des échelles pour nettoyer les lustres, passent les dorures au chiffon ou encore époussettent le sol tout en marchant. Et cela en chantant. Un chant qui vient du plus profond de leur foi, une musique douce à entendre dans ce lieu magique. Ces hommes ne se parlent pas, ils chantent en travaillant, tous unis sur la même note et avec une organisation folle. Certains pleurent.
Nous sortons de là avec encore de l’or dans les yeux.
La nuit est bien tombée maintenant et nous rentrons dans nos hôtels respectifs. Nous ne dormons pas tous au même endroit : Logaine et moi rejoignons notre chambre de 7 m2, avec grillages au mur offrant une vue sur les chambres voisines et cafards se baladant sur le sol… Le drap est usé et l’odeur des poubelles qui jalonnent la rue parvient presque jusqu’à nous. « Nunca mas » (plus jamais), elle me dit. Je suis bien d’accord : le lieu est sordide. Mais comme vous pouvez vous en douter au vu de toutes les lignes que je viens d’écrire, ça en valait la peine !
Ci-dessous une petite vidéo... ça se passe à la frontière: