Voilà un certain temps que je pense à écrire un post sur la condition féminine en Inde.
Mais jusque là, je ne savais pas trop comment m’y prendre. Pour en parler sans faire de raccourcis grossiers, il faudrait maitriser la culture indienne que je ne fais encore qu’effleurer, même (seulement) après 4 mois. Le sujet est en effet à l’image du pays : vaste et complexe.
Bien décidée à l’aborder malgré tout mais incapable de rédiger quelque chose de purement ‘théorique’, j’ai finalement choisi un angle plus simple, et aussi plus ludique : celui de la publicité. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques jours je suis absolument fascinée par la publicité indienne ! Peut-être à cause des kilomètres de murs tamponnés ‘Coca Cola’ ou ‘Vodafone’ en grosses lettres peinturlurées, et cela dans la plupart des villages que nous avons traversés. Ou peut-être à cause de ce panneau publicitaire vu la semaine dernière sur le mur des toilettes d’un cinéma de Delhi et qui, grosso modo, s’intitulait ‘Comment passer moins de temps à satisfaire votre époux grâce au désodorisant X’. Le contenu ressemblait à :
1) Lui préparer un bon repas : 1h30
2) Laver son linge : 45 minutes
3) Plier ses chaussettes : 7 minutes
(….)
10) Mettre dans les toilettes le désodorisant qu’il aime : 10 secondes
Comme partout ailleurs, le message publicitaire est ici le reflet d’une culture et de traditions fortement ancrées dans les mœurs. Et en ce qui concerne la condition féminine, c’est frappant.
En guise d’introduction, j’ai envie de vous parler d’une publicité qui a été censurée par le gouvernement indien. Au-delà de la place de la femme dans la société, cet exemple illustre surtout le fonctionnement du rapport hommes / femmes en Inde.
Le corps tabou
Pays du Kâma-Sûtra l’Inde? Oui, certes. Mais l’Inde d’aujourd’hui, c’est aussi un pays dans lequel s’embrasser un public est un acte choquant et même interdit par la loi. Au cinéma, vous pouvez bien attendre pendant les 2h30 que dure le film que les deux acteurs, pourtant foudroyés d’amour dès la première seconde, se donnent un petit baiser : vous n’en verrez rien. Et si jamais la scène a été tournée, elle sera coupée lors de son passage sur grand écran.
Il en va de même dans la publicité. On ne s’embrasse pas et on n’insinue rien de trop ‘physiquement rapproché’ : une main posée sur l’épaule ou un bras passé autour de la taille sont déjà plus que suffisants.
Vous vous souvenez peut-être de cette publicité pour le déodorant Axe, celle dans laquelle on nous présente un homme chocolat à l’odeur duquel aucune femme ne pourra résister ? En Inde, elle a été censurée. « Indécente » et « vulgaire », a décrété le gouvernement. Cela laisse songeur…
Mais revenons à nos moutons : la place de la femme dans la société indienne.
Comme toute société, l’Inde subit des changements. En observant la nouvelle génération, il me semble qu’elle est tiraillée : le regard tourné vers l’occident mais les deux pieds bien ancrés dans les traditions familiales et religieuses. L’éclosion de cette jeunesse aux repères floutés semble faire acte de transition.
C’est ce qui, à mon sens, est le plus intéressant à observer dans les publicités que j’ai sélectionnées : lourdes du poids des traditions et imprégnées d’une identité culturelle forte, elles militent cependant en faveur du changement.
Maintenant que j’ai bien blablaté sur le sujet, petite séance de visionnage….
1. Naissance - C’est une fille !
En Inde comme dans d’autres pays, avoir une fille est ‘source de problèmes’ : un jour, il faudra la marier. Et pour pouvoir la marier, il faut commencer dès son plus jeune âge à prévoir la dot qui lui permettra d’entrer dans une autre famille. En 1961, le système des dots a certes été officiellement interdit. Mais cela ne change rien : la dot est une tradition bien ancrée dans les mœurs, et ne sera probablement pas délogée de si tôt. Plus la famille est aisée, plus la dot doit être conséquente. Outre les traditionnels saris et têtes de bétail, il faut désormais offrir des cadeaux plus ‘conséquents’, du type téléviseur, voire même une voiture.
« Cette coutume de la dot est commune à toutes les castes (…). Si Râjâ Ram avait deux garçons, les dots encaissées par ceux-ci lors de leur mariage compenseraient celles à débourser pour Râdhâ et Mirâ. De plus, en Inde, les filles partent habiter avec leur époux chez les parents de celui-ci. Le couple sans garçon se retrouve seul pour vieillir ; et les retraites, les aides sociales, n’existent pas pour la majorité des indiens ». Extrait du roman-témoignage de Marc Boulet, Dans la peau d’un intouchable.
Conséquence de tout cela, le plus horrible se produit parfois quand une fille nait : l’infanticide. Et avant la naissance, l’avortement sélectif fait des ravages. Depuis 1994, une loi interdit d’ailleurs l’échographie visant seulement à connaître le sexe du futur enfant. Mais nombre de cliniques ne la respectent pas. Les chiffres disent qu’en conséquence de ces deux pratiques (avortement sélectif et infanticide), il ‘manque’ aujourd’hui environ 60 millions de femmes en Inde.
Ci-dessous, une petite vidéo réalisée par le gouvernement indien. Objectif : sensibiliser l’opinion publique. Véritable engagement politique ou acte de déculpabilisation ?
2. Mariage - « Get used to choice »
En Inde, le mariage arrangé est la réponse à plusieurs phénomènes. Le système des castes tout d’abord. Bien qu’officiellement aboli en 1950, ce système continue de régir pour partie la société indienne. Surtout dans les campagnes, où le fossé entre les castes les plus élevées (brahmanes) et les castes inférieures (intouchables) est loin d’être comblé. Chacun sa caste, chacun son métier, généralement lié à celui du père. Et c’est, entre autres, pour perpétuer cette tradition que les familles se mettent d’accord sur une union entre leurs enfants : le couple doit appartenir à la même caste. Ainsi qu’à la même religion. Les quelques indiens avec lesquels nous avons pu parler du mariage arrangé s’expriment généralement en faveur de ce système : l’objectif du mariage, c’est avant tout de s’assurer une base prospère et solide pour construire une famille. L’amour vient après. Ou pas.
Bien sûr, comme le reste, cela change et il y a aujourd’hui de plus en plus de mariages d’amour. Une étude révèle d’ailleurs que le nombre de divorces a doublé en vingt ans ! Dans les grandes villes, les filles sont de plus en plus éduquées et sont maintenant nombreuses à faire des études universitaires (elles représentent près de 40% des étudiants de 2ème et 3ème cycle).
Les publicitaires ont bien compris qu’il y a un public à conquérir en jouant avec humour sur l’imbrication tradition/évolution. La publicité suivante a été réalisée par un bouquet satellite. Son slogan, ‘get used to choice’, parle de lui-même.
3. La mort de l’époux – Quelle place pour les veuves ?
Jusqu’en 1829, l’Inde pratiquait ce que l’on appelle la Sati. Le mot est joli et ne laisse pas, quand on ne le comprend pas, deviner l’horreur qui se cache derrière : la sati c’est l’immolation, sur l’autel funéraire de son époux, de la femme devenue veuve. Un proverbe disait alors : « Si la petite fille brûle, si les cendres volent, l’honneur de la lignée est chose faite ». Fort heureusement, cette pratique a été abolie mais quelques très rares cas font encore parler d’eux. En moyenne, un par an disent les chiffres. Et généralement, dans les régions les plus défavorisées du pays. C’est encore trop.
Aujourd’hui, le statut de veuve en Inde reste peu enviable. La veuve est responsable du décès de son mari, « dont elle n’a pas su retenir l’âme », explique un article publié dans l’Express en 2003 (http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/l-exil-des-veuves-blanches_492277.html). De plus, elle porte le mauvais œil. Souvent, elle est rejetée par sa belle famille pour qui elle devient un poids plus qu’autre chose. On lui retire tous les symboles du mariage : les bracelets, le bindi collé sur le front et censé lier l’âme des époux.
Elles sont aujourd’hui plus de 20 000 à devoir mendier pour survivre.
Là encore, j’ai trouvé une publicité qui tourne en dérision ce fait de société : puisque le bindi unit les âmes et que la femme n’a su retenir celle de son mari, cette marque propose une solution qui garantit le retour de l’âme chérie…. Et empêchera la femme de sombrer dans la misère.
Et voilà, c’est la fin de cet article ! J’espère ne pas avoir sombré dans les clichés et ne pas y avoir intégré trop d’erreurs… Si le sujet vous intéresse, je vous recommande ce livre que je viens de lire. L’histoire se déroule dans le wagon d’un train de nuit, à l’époque où les trains indiens étaient encore compartimentés hommes / femmes. Des femmes, mariées, célibataires et veuves, se rencontrent et se racontent…
Compartiment pour dames, Anita Nair
jeudi 19 novembre 2009
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Merci pour ces intéressantes lignes. Mais nous reparlerons ensemble du sati, phénomène complexe qui ne peut s'entendre que dans l'imbrication des présupposés religieux et des pratiques traditionnelles. Tu le savais, dis, que je te tomberais dessus...?
RépondreSupprimerJe t'envoie mille bises mon petit lassi.
Excellentes en tous cas les vidéos !
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