lundi 16 novembre 2009

Episode 2: Shilou et Michou dans un mariage hindou

A gauche, je vous présente Shilou. Au milieu, Michou. Et à droite, Nanar.
Et là vous vous dites, avec des petits noms comme ça et l’improbable chapeau qu’elles portent sur le haut du crâne, elles ont participé au défilé automne/hiver de 2010.Eh ben non. Même pas.
Nous sommes juste allées assister à un mariage dans l’Himalaya….
Vous vous souvenez, le dernier post : Shimla, les bouddhistes, le monastère, tout ça ? C’était la première étape de notre périple montagnard. Et le lundi matin, nous avons repris la route pour un tout autre décor : un petit village tout petit (si petit qu’il tiendrait dans une boite en carton), peuplé des amis et de la famille d’Amul (un collègue de Mathilde), réunis pour le mariage de ce même Amul.
Pour nous y rendre, il n’y a qu’une solution : un bus des années 30 aux sièges défoncés et rempli jusqu’à ras bord. Au moment où nous quittons Shimla, un orage pointe le bout de son nez dans le ciel ombragé. Pas bien rassurant, surtout quand on sait que plusieurs heures nous attendent sur les routes en zigzag, mais pas le choix, on ferme les yeux et c’est parti ! Le bus a à peine dépassé les premiers virages en pente raide qu’une jeune indienne en sari rose fluo ouvre sa fenêtre pour laisser échapper sa nausée à coups de grands raclements de gorge… Il n’en faut pas plus pour stresser Mathilde et pour amplifier le mal au cœur qui me menace depuis le départ… Le chauffeur donne des grands coups de frein, double dans les endroits les plus improbables et il n’y a rien sur le bas côté pour nous séparer du précipice que je fixe avec anxiété… J’ai envie de lui crier de se dépêcher, ou au contraire de ralentir, je ne sais pas trop. Je finis par essayer de dormir, espérant que ça passe. Dommage, les paysages sont absolument magnifiques !
Et tout à coup, alors que l’on pensait n’être qu’à la moitié du chemin, notre bus s’arrête en pétaradant sur un parking et on nous presse de descendre : Ghumarwin, Ghumarwin ! En deux temps trois mouvements, j’ôte mes chaussettes vertes à pompons pour remettre mes tongs et on descend du bus en sautillant, le sac à peine accroché sur le dos. Nous voilà sur un parking inconnu, offertes aux regards curieux des villageois qui nous détaillent comme si c’était jour de fête. Notre bus repart en un clin d’œil, nous abandonnant sur cette placette aux milles odeurs de chai et de légumes. Nous avons un léger doute : après tout, qu’est ce qui nous certifie que c’est bien Ghumarwin ? A part la voix de cet homme qui nous a poussées à descendre, aucun panneau ne précise que nous sommes au bon endroit. Nous scrutons les affichettes de la gare et des échoppes alentour. Devant une épicerie, enfin, une adresse est indiquée. C’est bon, c’est bien là. Comme il est encore tôt, nous décidons de faire un petit tour dans les ruelles de ce village fort appétissant. Les couleurs se font concurrence, le sol est terreux, l’Inde s’immisce dans nos narines, la montagne nous observe… c’est le bonheur ! L’endroit est tout petit et les touristes doivent rarement y mettre les pieds. Très vite, nous devenons le centre de l’attention. Des jeunes écoliers se réunissent et commencent à nous suivre, le moindre de nos gestes les amuse. Nous nous posons devant un café : on entre, on n’entre pas ? Ils sont une vingtaine maintenant, peut être plus, en cercle autour de nous et qui nous regardent en chuchotant. Un vrai fan club ! Finalement, on se décide et on entre boire un chai et rassasier nos estomacs. Quelques étudiants nous suivent et s’installent à la table d’à côté. On se sent observées, détaillées, mais ce n’est pas gênant. Rien à voir avec les regards appuyés et parfois malsains de Delhi. Derrière le bar, un petit jeune homme me lance des sourires timides à chaque fois que je tourne les yeux vers lui. Et quand il voit que je le remarque, il regarde ses collègues, gêné, et pouffe comme un adolescent qui passerait devant la porte ouverte d’un vestiaire de filles. C’est drôle.
Une petite heure plus tard, un jeune indien débarque dans le café et se dirige droit sur nous. C’est un ami d’Amul, il vient nous chercher pour nous accompagner au mariage. En fait, ce n’est pas à Ghumarwin mais dans un village des alentours. Encore plus petit. Tout petit. Un alignement de maisonnettes au fond de la montagne…Manou (l’ami d’Amul) appelle un taxi et hop, nous revoilà parties sur les routes. En chemin, nous nous arrêtons pour prendre Naresh, un autre ami.
Sur la montagne avec Mono
Nous sommes 3 à l’arrière de la petite automobile, serrés comme des frites dans un sachet, et nous nous laissons guider sur les chemins de montagne. A un moment donné, le chauffeur tourne sur la droite et s’enfonce dans un chemin terreux. Je n’aurais jamais remarqué ce chemin si nous ne l’avions pas pris. C’est comme une porte secrète vers un lieu caché. Et en effet, le village où nous nous rendons est bien caché. C’est incroyable de débarquer là. Petites ruelles pavées (est-ce que ça mérite même le nom de ruelles ?) serpentant entre des bicoques aux portes ouvertes, troupeaux de vaches alanguies reposant à l’ombre des murs, femmes en saris qui glissent de pierrre en pierre. C’est joli comme dans Heidi et là encore, on tombe amoureuses. Tout de suite.
Naresh et Manou nous guident dans une petite pièce où la famille vient nous saluer, tour à tour. D’abord Amul (le futur marié) puis le père, la grand-mère, les sœurs et les enfants, les frères et les beaux frères, les amis, les oncles et les tantes. Ils entrent, nous serrent la main, interrogent Amul en hindi pour savoir qui nous sommes puis repartent. Un petit tour et puis s’en vont… la plupart des habitants du village ne parlent que l’hindi : nous communiquons à force de sourires. On nous sert un chai, un verre d’eau et puis on nous montre la salle de bains. On pensait éventuellement prendre une douche, se changer. Quelle idée ! La salle de bains est une petite pièce de la taille d’une penderie, d’un côté un robinet, de l’autre un mur nu. Nous entrons, bien décidées malgré tout à nous passer un coup de peigne et à nous débarrasser, d’une manière ou d’une autre, des odeurs du bus et du voyage… Mais manque de chance : à peine nous sommes-nous enfermées dans ce petit réduit qu’une panne d’électricité tombe sur le village. Et la nuit est déjà tombée. Un coup de déo, un brossage de dents avec crachage à même le sol, et nous ressortons. Les petites robes que nous avions amenées pour l’occasion (Oui oui, nous avait dit Amul, habillez-vous comme pour un mariage européen, les gens vont adorer !) resteront dans nos sacs pendant les deux jours à venir. Je me vois mal porter une robe dos nue et des chaussures à talons dans ce village où les femmes sont couvertes des pieds à la tête, où le froid commence à faire des siennes et où il est prévu que nous mangions à même le sol, la main dans la bouillie. En guise de robe, nous sortons donc des sweats bien épais et je suis presque tentée de remettre mes chaussettes de grenouille. Mais je me retiens : mes tongs feront l’affaire.
Un peu plus tard, on nous conduit dans la cour, centre névralgique du village. Ce soir, la mariée n’est pas là, il n’y a que la famille, les voisins et les amis d’Amul. Et pour cette première journée, les femmes sont à l’honneur (le mariage se déroule sur trois jours). Elles sont assises sur des chaises en bois, dehors, les visages éclairés à la lueur des bougies, et entonnent des chants que nous ne comprenons pas mais que nous écoutons avec ravissement. Quand elles remarquent notre présence, un étonnement joyeux parcourt l’assistance et leurs regards deviennent pétillants. Du coude, elles se passent le mot : Il y a des étrangères, regarde... Là encore, elles rient en nous observant. Est-ce le sweat ? Les cheveux pas lavés ? J’en doute. C’est notre présence, tout simplement, qui les amuse…
Nous restons là un petit moment et puis Amul nous dit de suivre ses amis, Naresh et Manou. On ne sait pas où ils nous emmènent, mais on y va. On traverse les ruelles du village dans la nuit noire et épaisse, et nos chevaliers servants nous prennent par la main pour nous éviter de trébucher sur une pierre ou de faire un plongeon dans une bouse de vache géante. Ça y est, on a à nouveau 15 ans… Eux, connaissent le chemin par cœur. Nous, nous découvrons et c’est complètement rocailleux sous nos pieds, ça grimpe, ça descend, ça glisse, on ne voit rien. Il nous faut vingt bonnes minutes pour parcourir quelques mètres et nous arrivons enfin dans une petite maison, tout en bas du village. C’est là qu’habite la sœur d’Amul. Et c’est là aussi qu’a lieu la contre-soirée. Contre-soirée ??? Eh oui, dans le village et donc pour le mariage, l’alcool est interdit. Alors les jeunes indiens ont décidé d’organiser leur propre apéro, sur la table basse d’une chambre aux murs blancs. De vrais ados, qui se cachent pour boire leur whisky-coca. Ils ferment la porte à clé : ils ont peur qu’un oncle entre par mégarde ou pire, une femme ! Nous, ça ne les dérange pas. Nous sommes étrangères et ils ont pensé que nous serions mieux avec les jeunes garçons qu’avec les femmes qui chantent le village. Soit. On était bien aussi, sur nos chaises en bois, à écouter leurs chants danser sous la lune. Mais de toute façon, nous n’avons pas le choix. Nous avons été placées pour ce mariage sous le haut patronage de Naresh et Manou, qui se font un devoir d’être à nos côtés et de nous emmener partout où ils vont. Heureusement, l’ambiance est plutôt sympa et on discute une bonne heure avec toute cette bande de vieux copains d’enfance, qui nous bombardent de questions. Comme nos prénoms leur semblent imprononçables, ils décident de nous rebaptiser. Pour moi, ce sera Shilou. Et pour Mathilde, Michou. J’avoue que ça me plait bien, Michou! ….
Pour se venger, on décide de faire pareil: Manou devient Mono, et Naresh Nanar. ça leur va à ravir.
Un peu plus tard dans la nuit, nous retournons dans le cœur du village. Le diner est commencé : c’est comme à la cantine, il y a plusieurs services. Notre tour vient enfin. On s’assoit sur le chemin terreux, le long d’une bande creusée dans le sol et dans laquelle cuisent les différents plats. Un homme en pagne dépose devant chaque convive une assiette faite avec des feuilles d’arbre accrochées les unes aux autres par des petits morceaux de bois. Ensuite, des hommes défilent, avec à la main des seaux remplis de nourriture. On nous sert à la louche : riz, dal, légumes épicés. Et on mange avec la main, la droite bien sûr puisque la gauche est impure et que l’on ne doit jamais s’en servir pour manger. On malaxe le riz, la sauce et les légumes pour essayer de faire des petites boulettes que l’on s’envoie ensuite dans le gosier. Les indiens font ça sans y penser, la tête baissée vers leur assiette. Nous, nous devons lever les yeux au ciel pour jeter dans notre bec les bouchées mal roulées de riz et de dal. Evidemment, on s’en met partout. Le repas est simple, mais excellent. C’est tellement différent d’un mariage européen ! Peut être aussi parce que l’on est dans un petit village…On arrive, on s’assoit et on mange en silence. Le chemin sert de salle, le sol sert de table. Pas besoin de passer des nuits blanches à remanier son plan de table et à se demander si X peut vraiment être assis à côté d’Y sans que ça ne se finisse mal.


Le lendemain, petit cours de cuisine....

Le 'wedding dinner'

Vous nous imaginez là, en petites robes à bretelles? Pas possible...


Le lendemain, avec Amul décoré de billets....
Les invités vont et viennent à leur guise, depuis la cour d’où montent le chant des femmes jusqu’au chemin où le diner est servi. Il y a du monde dans toutes les pièces de la maison. Dans la pièce principale, des femmes ont déposé couvertures et oreillers, elles papotent pendant que les enfants jouent, une vieille femme s’est endormie. Nous mangeons en dix minutes et on se lève, laissant la place aux suivants. L’homme en pagne débarrasse nos assiettes en feuilles, que l’on a roulées pour montrer que c’est fini, et sert les nouveaux convives. L’idée n’est pas de faire un bon diner, mais de nourrir tout le monde. Tout le village, tous les amis, toute la famille. Des kilos de riz cuisent dans les marmites, des centaines de pommes de terre sont épluchées. Et ils épluchent encore. Le lendemain midi, ce sera pareil.
Après le diner, nous nous installons dans la pièce principale. Amul est là, accompagné de l’homme qui officie la puja. Pendant deux jours, on prépare le marié. J’imagine qu’il en est de même, de son côté, pour la mariée : mais personne n’a réussi à bien nous éclairer là-dessus, et Amul n’était évidemment pas assez disponible pour tout nous expliquer. Pendant la puja du soir, Amul va devenir ‘un homme responsable’, nous explique son père. Quand la prière est terminée, on nous fait venir au centre, Michou et moi, et on nous barbouille le visage de poudre jaune et rouge. Les femmes rient, elles nous disent que c’est ce que l’on fait à ceux qui ne sont pas encore mariés. Je ne sais pas si c’est vrai. Nanar et Mono ont eux aussi droit à ce petit peinturlurage. En nous observant tous les 4 réunis devant l’assemblée, je glisse à Mathilde qu’ils sont peut-être en train de nous marier en douce. A ma décharge, il faut dire que l'on ne comprend rien à ce qui se passe...
Après la puja, nous assistons à la tradition des ‘allers-retours’ (je ne sais pas comment ça s’appelle en vrai). Les femmes, nous comprises, sont alignées sur deux rangs et Amul passe entre nous, porté par ses copains. On nous distribue des grains de riz. Youpi, on se dit, enfin un truc qu’on connait ! A son premier passage, on s’apprête à les lui jeter mais… nous sommes arrêtées dans notre élan par les autres femmes : c’est pas du tout comme ça qu’il faut faire…. Amul porte sous le bras une grande besace que nous devons remplir à chacun de ses passages avec les grains de riz: 4 au total. On n’en attendait pas tant et avons versé tout notre riz lors du premier. Tant pis, aux passages suivants on fait semblant. C’est pendant ces ‘allers-retours’ qu’Amul peut encore revenir sur son Oui et refuser de se marier. Bon, j’imagine que ça ne doit pas arriver très souvent. Voire jamais. Les familles se sont mises d’accord sur cette union, et ont interrogé les astres qui leur ont confirmé qu’elle serait fructueuse. C’est donc difficile de faire demi-tour… Les allers-retours sont terminés et Amul n’a pas dit non. Tout va bien.

Il est temps de danser, maintenant ! La grand-mère d’Amul vient me prendre par la main pour m’entrainer dans une farandole qui me semble bien compliquée. Je tente tant bien que mal de copier les petits déhanchés de ces jeunes indiennes, mains en l’air, le pouce et l’index collés l’un contre l’autre. C’est assez catastrophique, mais il faut bien essayer !

La nuit est bien avancée quand on nous guide à nouveau à travers le village pour nous amener dans la maison de la sœur d’Amul. C’est là que nous passerons la nuit et que, le lendemain matin, nous nous laverons avec un seau d’eau bouillante.
Quand le jour se lève, la beauté du paysage nous saute aux yeux. La maison a une petite terrasse sur le toit qui offre une vue incroyable sur les montagnes de l’Himalaya. Quel silence….
Comme la veille, notre emploi du temps est désordonné. Sieste dans une des pièces de la maison au beau milieu de l’après midi, déjeuner sur le chemin de terre (c’est bon, on est expertes en gobage de boulettes maintenant !), remise des cadeaux (léger malentendu : nous donnons le notre en même temps que la famille alors que les amis étaient censés attendre le soir… Il faut vraiment qu’on se mette à l’hindi…), balade dans les montagnes….
En fin de journée, le village doit accompagner Amul dans la maison de la mariée. Nous partons en voiture avec Naresh et Manou et faisons un arrêt chez Nanar. Pourquoi ? Pour se changer, pardi. Sa mère, sa grand-mère et ses sœurs nous font un accueil digne que celui que je réservais autrefois à mes poupées Barbie au pied du sapin de Noel. Pendant que Naresh met son plus beau costume, elles nous enferment dans la chambre, bien décidées à nous transformer en jeunes indiennes. Elles nous coiffent, nous passent de la crème sur le visage, nous collent un bindi sur le front et nous déshabillent pour nous faire entrer dans des tuniques sorties de leurs placards. Avant de nous laisser repartir, elles nous offrent à chacune un chapeau typique de l’Himachal Pradesh. Un look à tomber par-terre…

Enfin, nous arrivons dans la maison de la mariée… mais point de mariée à l’horizon. Elle est cachée à l’intérieur et n’apparaitra qu’à la fin de la Puja. Pendant ce temps, on nous conduit dans une pièce où sont servies des sucreries. Une ribambelle d’hommes de tous âges sont assis en rang d’oignons et, silencieux, enfournent les pâtisseries qui leur sont servies sans relâche. C’est impressionnant, surtout quand toutes ces paires d’yeux commencent à nous scruter. Quand il ne reste plus une miette, les plus jeunes commencent à danser. Entre hommes. Les femmes sont peu nombreuses dans cette pièce, et celles qui sont là se contentent de regarder. Amul, lui, doit rester assis sur sa chaise. Il porte autour du cou des colliers de billets de 10 roupies, cadeaux ayant pour vocation d'apporter la richesse sur son futur foyer.
La soirée touche à sa fin. La mariée, celle que l’on attend depuis le début, arrive enfin. Elle est belle, discrète et le regard baissé. Pendant qu’Amul, un peu distrait, regarde autour de lui ce qui se passe, elle reste concentrée sur le sol à ses pieds et semble à peine ciller.


Malheureusement, il est l’heure pour nous de partir. Un bus de nuit nous attend, direction Delhi. On n’a pas du tout envie de quitter ce village, ni ces montagnes. On n’a pas envie de quitter le silence, ni le chant des femmes dans la nuit. Ni Nanar et Mono, nos sympathiques garçons d'honneur.
Mais le devoir nous appelle... En route, Michou!

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